SUR LA ROUTE D'EDISON : EXTRAIT

 

Le début de la nouvelle :

 

Lola avait eu chaud. Très chaud même. Elle s’était vue menottée, interrogée, inculpée, jugée, emprisonnée, sa future carrière de star était fichue. Finis les castings pour essayer de décrocher une place au sein d’une académie prestigieuse qui la transformerait en diva des ados à la voix chaude et sensuelle. Un double meurtre, qui plus est passionnel, quand on a quinze ans à peine, c’était un coup à vous envoyer pour une éternité derrière les barreaux, mineure ou pas. Ah si seulement il savait, ce con de Perrin, le prof d’EPS, comment elle s’était débrouillée face aux gendarmes, il arrêterait sûrement de se foutre de sa gueule. « Mademoiselle Fouchet, je vais finir par croire que votre QI est aussi mince que la ficelle de votre string ! ». Ça, c’était la dernière qu’il avait trouvée, lundi après-midi, pendant la séance de saut en hauteur. Tout le monde n’était pas censé savoir ce que c’était, le Fosbury. Un jour, à lui aussi elle s’occuperait de sa morgue, elle lui ferait ravaler la moumoute qu’il s’était fait greffer sur le caillou pour jouer les vieux beaux auprès de mademoiselle Michaut, la prof de maths, et celle qu’il avait sur le torse par-dessus le marché, pour qu’il s’étouffe avec, ce naze. Mais lundi semblait déjà loin. On était dimanche soir, et Lola se repassait sous la couette la journée de vendredi. Tout cela ne serait sans doute jamais arrivé sans cette sortie au pic du Soumcouy organisée par la prof de SVT. Déjà rien que le nom, le Soumcouy, provoquait chez Lola davantage de fous rires que d’interêt pour la géologie. Madame Campion les avait saoûlés avec ses lapiaz et ses reliefs karstiques, il n’y avait vraiment que cette fayotte de Louise pour poser des questions à la gomme, sur quoi déjà ? l’action de l’eau dans les nappes souterraines, ou un truc du genre. D’ailleurs Louise avait paru très en forme sur ce coup là, totalement imperméable aux sarcasmes de ses camarades, sans doute l’enthousiasme de la sortie. Pour Lola en tout cas, les tartines de leçons sur les rochers et autres cailloux, c’était aussi utile que des Nike à un cul-de-jatte. De toutes façons, l’école en général, c’était juste bon à faire des rencontres, comme celle de Kevin par exemple, le beau gosse de troisième. Il lui avait presque fait oublier le trou où ses parents avaient décidé du jour au lendemain de venir s’installer, pour tout recommencer, loin du Paris bétonné, de son périphérique pollué, et de sa plage juste bonne à satisfaire des bobos en mal d’exotisme, comme ils disaient. Il faut dire que les idées foireuses, ça leur prenait comme la colique. Comme l’été où elle s’était farcie deux mois à méditer dans un ashram en Inde. Après ça, ils pouvaient toujours se moquer des bobos…

 

 

L'ASCENSEUR DU SOMPORT - EXTRAIT

 

Le début de la nouvelle :

 

PSYCHOSE EN VALLÉE D'ASPE!

 

Le titre, en première page de Sud Ouest, se voulait accrocheur, mais il traduisait surtout une inquiétante réalité. La veille, un camion transportant un cheptel de porcs à destination de l'Espagne s'était volatilisé au beau milieu du tunnel du Somport. Après la disparition d'un camion de moutons en mai, de Blondes d'Aquitaine trois mois plus tôt, et d'un troupeau de chèvres en début d'année, il s'agissait là de la quatrième disparition à l'intérieur même de ce que beaucoup appelaient désormais le tunnel maudit. Le scénario avait certes de quoi laisser perplexe les adeptes de mystérieuses chambres jaunes: Un camion entrait dans le tunnel à une heure où le trafic était au plus bas, sans jamais en ressortir. Aucun témoin. Chaque fois, le chauffeur était finalement retrouvé errant sur les voies, l'air hagard, totalement amnésique, la lettre U comme tatouée sur le front.

Au bar de l'Hôtel des Voyageurs, à Urdos, les conversations allaient bon train. Certains ne pouvaient s'empêcher d'alimenter de vieilles polémiques :

  • Je l'ai toujours dit, qu'il nous apporterait que des ennuis ce tunnel!

  • Mais tais-toi donc, bougre d'âne! Tu voudrais peut-être qu'on transporte encore les marchandises à dos de mulets!

  • Je suis désolé, mais de voir notre vallée transformée en cuvette à CO2, ça me froisse l'élastique, et ça m'étonne pas qu'il y en ait qui aient décidé de prendre les choses en main!

D'autres s'improvisaient historiens :

  • Tout ça, c'est la faute à Napoléon, c'est lui le premier qui a ordonné, en 1808, le projet d'une grande route reliant Paris à Madrid.

  • Dis donc André, t'as avalé une encyclopédie avant de venir ou quoi? Non parce que t'as oublié de lire les chapitres précédents, je te signale que le col du Somport était déjà une voie d'échange utilisée par les Romains! Et puis de toute façon, ça nous dit pas pourquoi les pauvres chauffeurs se sont tous retrouvés avec un U au milieu du front!

  • Et un Uppercut dans ta face d'hUrluberlu, ça te tente?!

En tout cas, les esprits s'échauffaient.

Le patron du bar demeurait quant à lui pragmatique. En ces temps de morosité aigue, touristes et journalistes étaient venus arrondir son modeste chiffre d'affaires. Toujours ça de gagné.

  • Dis donc Armand, ça serait pas une de tes idées lumineuses pour sauver ton bar de la faillite par hasard?

  • Bande de comiques, maugréa Armand, temps mort, j'ai les zygomatiques en feu... J'vous jure, y'a des jours, je prendrais bien ma retraite en Terre Adélie, songea-t-il en regardant ses montagnes, au moins, si je finis bouffé tout cru par un ours anémié qui aurait survécu à un morse enragé, je saurai pourquoi...